Interview d’Antoine LEROY,
Président fondateur de KOELIS
Je suis arrivé à Grenoble en 2000 et ne suis jamais reparti. La qualité de vie, le coût de la vie, les perspectives et puis cette émulations scientifique, technique, sportive, d’affaires rendent cette vallée très attractive. Le marché de l’emploi est actif à Grenoble. Nous sommes attentifs au besoin d‘équilibre entre vie privée et vie professionnelle et je crois pouvoir dire qu’on a une certaine attractivité sur le bassin grenoblois.
Pouvez-vous expliquer l’activité et la particularité du dispositif médical développé par KOELIS ?
Nous sommes pionniers de la prise en charge ciblée et personnalisée du cancer de la prostate. Nos innovations technologiques changent radicalement le diagnostic et le traitement de cette pathologie. Elles s’appuient sur des recherches appliquées menées historiquement avec le laboratoire TIMC de l’Université Grenoble Alpes avec lequel on a des brevets, les hôpitaux universitaires de la Pitié-Salpêtrière de Paris et de Grenoble.
Nous avons développé une plate-forme nommée KOELIS Trinity. Avec cet outil, les cliniciens visualisent la prostate en temps réel, en créent une cartographie 3D et enregistrent les lésions identifiées. Cela permet de guider avec une grande précision les aiguilles de diagnostic pendant la biopsie et de réduire le nombre de prélèvements réalisés. Sans cet outil, la biopsie est « randomisée » et les prélèvements sont aléatoires et beaucoup plus nombreux.
Lorsque le cancer est localisé et de grade intermédiaire, la technologie de KOELIS permet de faire un traitement focal (c’est un nouveau concept) qui consiste à planifier et guider une aiguille de traitement au centre de la lésion pour réaliser in situ une ablation. Ce haut niveau de précision permet de traiter le cancer en protégeant les zones sensibles comme les sphincters ou les nerfs. La qualité de vie du patient est préservée et tout l’enjeu de notre innovation est là.
Votre technologie est-elle unique au monde ?
Oui, notre produit est unique, c’est un nouveau standard dans le monde. Il change la prise en charge du cancer de la prostate car il améliore significativement la pratique du médecin et la qualité de vie du patient. On a développé des applications, des logiciels, des algorithmes d’intelligence artificielle et de la robotique. Cet outil de vision et de navigation donne la possibilité de personnaliser le traitement. Nous sommes donc en avance de phase par rapport au marché et à la concurrence. Ce que nous développons se différencie très fortement en termes de précision ou encore de facilité d’utilisation.
Notre rupture technologique par rapport aux échographes actuellement sur le marché repose sur deux innovations majeures :
– une échographie en 3D qui permet de voir la prostate sous toutes ses facettes, contrairement à une échographie traditionnelle qui permet de visualiser une coupe ou une tranche.
– un logiciel unique qui fusionne automatiquement des images IRM 3D avec les images échographiques 3D. Ce procédé technique permet, pendant l’opération, de superposer en temps réel des cibles IRM sur des prostates échographiques 3D, et d’assurer la précision du guidage d’une aiguille malgré la mobilité de la prostate.
Quelle a été votre stratégie de développement ?
Notre stratégie d’accès au marché a été de viser en premier lieu les milieux académiques. Dans notre domaine, le binôme de recherche ingénieur-médecin est essentiel, c’est ainsi qu’on aboutit à un projet qui fonctionne et qui est accepté par le marché. La toute première plateforme Trinity a été installée à l’hôpital la Pitié-Salpêtrière à Paris. J’ai travaillé en binôme avec un interne urologue qui est aujourd’hui professeur d’urologie dans cet hôpital. En parallèle, nous avons collaboré avec le CHU Grenoble Alpes sur des recherches dans la navigation du traitement de la prostate par curiethérapie. Puis assez rapidement nous avons orienté nos collaborations de recherche académique à l’international.
Nous avons donc gagné la confiance d’un grand nombre d’hôpitaux de renom dans le monde entier. Aux Etats Unis, des plateformes Trinity sont installées dans les hôpitaux de Stanford, de Johns Hopkins, du Brigham and Women, Cleveland Clinic, etc. Le célèbre Memorial Sloan Kettering Cancer Center de New York nous en a acheté une dizaine. Grâce à ce rayonnement, on se fait connaître et on grandit d’année en année. Dans un second temps nous nous sommes orientés vers les autres segments du marché : urologues privés et hôpitaux régionaux. Aujourd’hui les produits KOELIS dédiés aux biopsies sont vendus en Allemagne, Angleterre, Italie, Espagne ou encore au Japon, pays qui permet d’avoir un signal fort sur la qualité et l’efficacité de notre produit.
Votre entreprise a-t-elle connu une progression plutôt régulière ou au contraire une croissance fulgurante ? Etes-vous start-up ou scale-up ?
KOELIS est une entreprise de 100 personnes basées en France, en Allemagne, aux USA, en Asie ou Latam, qui continue de se structurer pour absorber l’augmentation du volume d’activité. Nous connaissons une croissance régulière de plus de 30% par an. Je dirais que nous sommes entre la phase startup et la phase scale-up. Nous investissons beaucoup dans la recherche. Environ 15% de notre chiffre d’affaires est consacré à la R&D. Les marges générées par nos produits sont immédiatement réinjectées dans l’innovation et le développement de l’entreprise.
Notre marché s’ouvre au rythme du développement de notre technologie qui répond à des besoins réels. Cela fait maintenant plus de 10 ans que nous interagissons avec des urologues du monde entier et en cela nous sommes en adaptation constante avec les besoins du marché. Ce processus est long car notre développement suit non seulement le rythme des études cliniques et des médecins qui utilisent notre appareil pour faire progresser leur science, leurs recommandations nationales et internationales, mais suit aussi les contraintes de la réglementation médicale qui se durcit fortement ces dernières années.
Depuis 2006, année de création de l’entreprise, quelles ont été les grandes étapes ?
Nous avons connu 3 phases de développement.
De 2006 à 2012, KOELIS était dans une phase de recherche et développement en lien avec nos premiers utilisateurs et nos premiers clients. Durant cette période, nous avons déposé nos premiers brevets, obtenus des preuves technologiques et les premières certifications en Europe.
La deuxième période (2012-2019) a débuté avec l’arrivée de notre investisseur Medevice, qui nous a permis de développer une nouvelle génération de produit et de nous déployer à l’international. Medevice est un fonds d’investissement spécialisé dans la santé et positionné sur les startups en “early stage”, stade intermédiaire entre le démarrage de l’activité et la phase de croissance. Leur soutien et celui de Bpifrance, ont joué un rôle important dans le développement technique et commercial de notre plateforme Trinity (aujourd’hui dans sa quatrième génération) en Europe, aux Etats-Unis, au Japon. Au-delà du financement, nous avons noué un solide partenariat avec Medevice qui nous a également accompagné sur les aspects stratégiques de la structuration de l’entreprise.
A partir de 2019, on est entré en phase de croissance grâce au deuxième tour de table réalisé auprès d’InnovaHealth Partners, un fonds d’investissement américain spécialisé dans la technologie médicale. Cette levée de fonds nous a permis de nous déployer aux Etats Unis qui est actuellement notre plus gros marché.
Nous avons d’ailleurs créé une filiale et recruté une vingtaine de personnes. Aujourd’hui 90% de notre chiffre d’affaires est réalisé à l’export.
Dans les technologies médicales, le marché américain est stratégique car il est unique et gigantesque. Lorsque vous obtenez la certification FDA, vous pouvez vendre librement dans tous les Etats. En Europe, c’est différent. Il y a une certification unique, le marquage CE, mais chaque pays a sa propre réglementation administrative pour les remboursements, l’allocation des budgets, et les recommandations nationales ne sont pas forcément les mêmes partout. En Europe nous préférons fonctionner avec des distributeurs sauf en Allemagne où nous avons créé une filiale il y a deux ans.
Avez-vous internalisé la fabrication de votre produit « Trinity » ?
Partiellement car le logiciel est notre cœur de métier initial mais ici, sur Inovallée, on teste et on assemble toutes les pièces et les composants électroniques qui composent la plateforme Trinity. En revanche nous externalisons la fabrication primaire de ces composants. Les trois-quarts de nos sous-traitants sont français ou européens. Nous avons la chance, d’avoir en Rhône Alpes un très bon réseau de sous-traitance et dont la proximité géographique nous permet d’avoir, depuis des années, de solides relations. Lorsqu’il y a des modifications à réaliser, on réouvre le projet pour discuter avec les sous-traitants, à tous les niveaux, de la conception au développement, de la réglementation au marketing.
En plus de notre activité principale, nous assurons la maintenance, le renouvellement des 500 machines vendues à travers le monde et leurs évolutions technologiques issues de nos investissements dans la R&D.
Avez-vous actuellement des projets de recherche avec des acteurs de Grenoble Alpes ?
Oui, nous sommes actuellement au cœur d’un projet partenarial de 10 millions d’euros sur 6 ans de type PSPC (Projet de recherche structurant pour la compétitivité) et financé à travers Bpifrance.
KOELIS est leader industriel de ce projet et notre rôle est d’identifier les besoins du marché, construire la feuille de route, trouver les partenaires.
Ce projet contribue au développement de la science, à la création d’emploi (doctorants, ingénieurs). On fait travailler, évidemment nos propres ingénieurs dans le sens d’un transfert vers l’entreprise en sortie de projet.
Sont impliqués deux laboratoires de recherche académique de Grenoble (TIMC) et de Brest (LATIM), le CHU Grenoble Alpes, l’APHP, l’Institut universitaire du cancer de Toulouse et un industriel (Vermon). Le projet vise à améliorer la résolution des images d’une part et intégrer de l’intelligence artificielle d’autre part, afin d’automatiser le ciblage des lésions de la prostate.Cette approche fine dans la détection du cancer permet de favoriser les traitements ciblés en ambulatoire au détriment des traitements totaux, plus coûteux et associés à des effets secondaires.
Pourquoi avez-vous fait le choix de la région grenobloise. En quoi le territoire répond à vos besoins ?
Je suis arrivé en 2000 et ne suis jamais reparti. La qualité de vie, le coût de la vie, les perspectives et puis cette émulations scientifique, technique, sportive, d’affaires rendent cette vallée très attractive.
Le marché de l’emploi est actif à Grenoble. Il faut reconnaitre que les écoles d’ingénieurs du bassin nous permettent de recruter des ingénieurs talentueux. Mais nos ingénieurs ne sont pas tous grenoblois, nous recrutons également des profils expérimentés qui viennent d’autres secteurs. Nous sommes attentifs au besoin d‘équilibre entre vie privée et vie professionnelle et je crois pouvoir dire qu’on a une certaine attractivité sur le bassin grenoblois.
Plus globalement, l’émulation et les interactions sont fortes sur le bassin grenoblois que ce soit pour des projets de recherche comme je l’expliquais plus tôt mais aussi grâce à Medicalps. Ce cluster de la filière santé contribue largement à cette dynamique : les entreprises se connaissent, échangent régulièrement sur les évolutions technologiques, règlementaires, juridiques, financières … ce qui est essentiel dans un monde comme le nôtre qui évolue rapidement.
BIOGRAPHIE
Président et co-fondateur de KOELIS, Antoine Leroy est ingénieur en informatique et mathématiques appliquées diplômé de l’ENSIMAG, et docteur en Imagerie, vision, robotique appliquée à la chirurgie Assistée par Ordinateur à l’Université de Grenoble.
Ses travaux menés avec le Pr. Mozer de 2001 à 2004 au laboratoire TIMC en lien avec l’Université Joseph Fourier (devenue Université Grenoble Alpes) ont ouvert l’urologie aux techniques de GMCAO (Gestes Médicaux Assistés par Ordinateur).
Avec Patrick Henri, expert international de l’innovation médicale, il fonde en 2006 KOELIS, spécialisé dans le traitement ciblé du cancer de la prostate.