Docteur en chimie et Directrice produit à BeFC
C’est bien l’écosystème grenoblois qui a permis la création de BeFC : on peut même dire que c’était écrit « noir sur blanc », à l’image de ce que l’on produit, du carbone sur du papier. Ici on a tout : la chimie, la biologie, la physique, la science des matériaux, etc… et du papier avec la présence d’acteurs comme l’école d’ingénieur INP-Pagora ou encore le CTP (Centre Technique du Papier) avec lequel nous avons, entre autres, réalisé des tests sur un produit intermédiaire à la demande d’un client et dont on a démontré sa recyclabilité à 97%. Nous avons de nombreux partenariats dans la région et avons à cœur de les faire fleurir.
BeFC réinvente la façon d’alimenter les appareils à faible consommation électrique : pouvez-vous présenter l’originalité de votre pile écologique ?
Issue des recherches pionnières sur les biopiles et les biocapteurs du Département de chimie moléculaire (DCM, UGA/CNRS), la biopile écologique développée par BeFC est une technologie de rupture qui permet de produire de l’électricité sans métaux et à partir de papier et d’enzymes. En imitant le système du cœur humain, les co-fondateurs de la start-up ont réussi une prouesse scientifique avec l’invention d’une biopile capable de délivrer des milliwatts pendant un an dans les conditions de laboratoires. Ce résultat exceptionnel a permis de déposer des brevets très rapidement et de créer BeFC (en 2020).
Quels sont les domaines d’application visés ?
Le champ des possibles est gigantesque, mais on a réduit le scope pour se focaliser sur les applications à impact les plus rentables. Nos premiers clients sont dans la « smart logistique » (ou logistique intelligente) et la santé. Le marché de la logistique est plus rapide d’accès car il y a moins restrictions sur la conformité du produit.
En revanche dans le domaine de la santé, la règlementation est beaucoup plus contraignante. On a cependant une très forte valeur ajoutée pour les dispositifs digitaux à usage unique (et à patient unique) soumis aux exigences de stérilité, et en particulier ceux, en contact avec des fluides humains, qui collectent puis communiquent les datas nécessaires aux diagnostics. Tous ces dispositifs usagés doivent être incinérés. Sur cet aspect entre autres, la solution digitale éco-responsable de BeFC est très performante : non polluante, moins dangereuse et moins couteuse en argent et en temps.
Quels sont vos objectifs et quels marchés visez-vous ?
Aujourd’hui environ une cinquantaine de personnes travaillent à BeFC. Nous serons environ 70 salariés sur l’usine de Grenoble avec un objectif de production de 1 million d’unités par jour et donc des centaines de milliers par an d’ici 2026. Pour financer ce passage à l’échelle, nous actionnons plusieurs leviers : levées de fonds, subventions et prêts bancaires.
La plupart de nos clients sont en Europe (Royaume-Unis, France, Suède) mais nous visons au-delà : nous avons déjà des clients en Nouvelle-Zélande, des prospects très intéressés au Japon et des partenariats qui débutent au Canada. Nous prospectons aussi très activement aux Etats-Unis.
Vous avez été lauréats, French Tech Green20, Première usine et FrenchTech 2030 : en quoi ces récompenses vous aident à passer à l’échelle ?
De nombreuses start-ups à vocation industrielle témoignent de la difficulté à devenir des scale-ups. Il y a beaucoup d’obstacles dont certains sont d’ordre administratif que ce soit du côté des ressources humaines ou sur les aspects règlementaires, d’autres concernent l’accès à des terrains industriels. Ces récompenses nous apportent de la crédibilité, un soutien financier et un accompagnement humain qui permettent de « réduire les barrières » et de se focaliser sur le challenge industriel.
Quelles sont les conditions de réussite opérationnelle pour ce projet d’industrialisation ?
Dès le départ, nous avons eu l’ambition de produire nous-même les biopiles, tout simplement parce que c’est complexe et que nous portons l’expertise du process de fabrication. Les conditions opérationnelles sont multiples.
Avant même la construction du bâtiment, il faut anticiper toutes les questions liées à la sécurité de tous les salariés et plus particulièrement ceux qui travaillent autour des machines ou en laboratoire. La conception de notre wet-lab (ou laboratoire humide) dans lequel il y aura des manipulations de liquides et de solutions est soumis à des exigences règlementaires (mise en place d’un système d’extraction…). En amont par exemple, il y aura des préventions sécuritaires, habituelles en industrie, à prendre en compte comme celle de protéger de l’inhalation de particules. Les questions portent également sur le positionnement des machines, sur les axes de déplacement et sur l’organisation des espaces de travail. C’est toute l’organisation du travail humain qui doit être pensée et anticipée avec les contraintes liées à la sécurité et au process de production.
Lorsque le bâtiment sera prêt, nous devrons déplacer les machines avec précaution. Ces machines, de plus de
1 million d’euros chacune sont uniques, c’est l’équipe dédiée à l’industrialisation qui a travaillé sur leur conception dans l’objectif de produire à l’échelle industrielle.
En 2024, nous allons démontrer notre capacité à produire une dizaine de milliers d’unités par jour et nous commencerons à délivrer les commandes aux clients. Il n’y a rien de trivial de passer de quantité de laboratoire, à des quantités pilotes puis des quantités industrielles que ce soit dans la formulation, les mélanges, les interactions entre les molécules ou les matériaux. Il y a une chimie des interfaces à contrôler à différentes phases avec des éléments hydrophobes et d’autres hydrophiles qui doivent être assemblés sur du papier.
Pourquoi avez-vous fait le choix d’industrialiser sur la région grenobloise ?
C’est bien l’écosystème grenoblois qui a permis la création de BeFC : on peut même dire que c’était écrit « noir sur blanc » à l’image de ce que l’on produit, du carbone sur du papier. Ici on a tout : la chimie, la biologie, la physique, la science des matériaux, etc… et du papier avec la présence d’acteurs comme l’école d’ingénieur INP-Pagora ou encore le CTP (Centre Technique du Papier) avec lequel nous avons, entre autres, réalisé des tests sur un produit intermédiaire à la demande d’un client et dont on a démontré sa recyclabilité à 97%. Nous avons de nombreux partenariats dans la région et avons à cœur de les faire fleurir.
Être à Grenoble c’est aussi un atout pour les recrutements. Si aujourd‘hui nous avons des difficultés à recruter des techniciens, ce n’est nullement le cas pour les ingénieurs. Cette facilité à recruter ce profil est le fruit de l’histoire scientifique et industrielle du bassin grenoblois : l’industrie du papier, la recherche en électrochimie (notre laboratoire de recherche existe depuis la création de l’université -Joseph Fourier), l’industrie micro-électronique, etc.